Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/444

Cette page n’a pas encore été corrigée

mets le flacon dans ma poche. J’aurais voulu que tu visses la tête des deux complices… Nous avons eu une petite explication dans la soirée, Alvise et moi, à la suite de laquelle il a été décidé entre nous, à l’amiable, que je ne le dénoncerais pas, mais qu’il partait pour Venise aujourd’hui même en compagnie de son confident. Il aura la jouissance d’un palais, une pension décente, et je te garantis qu’il ne recommencera plus… Je l’ai averti, à tout hasard, que je ferais analyser le vin, — entre parenthèses, il y avait versé une forte dose de strychnine, — et que le résultat de cette analyse serait consigné en lieu sûr. J’en ai deux exemplaires. Je confie l’un à Mme de Carlsberg, et voici l’autre : veux-tu le garder ? »

— « Je le veux bien, » répondit Pierre en prenant le papier que le Méridional lui tendait. Tel est l’égoïsme de la passion que dans la prodigieuse aventure dont il recevait la confidence, le nom d’Ely prononcé en passant l’avait plus ému que tout le reste du récit. Il lui avait semblé qu’en parlant de Mme de Carlsberg l’autre l’avait regardé d’un regard inquisiteur. Il s’était dit : « Aurait-il un message pour moi ? … » Un message ? Non. Ely n’était pas femme à choisir un Corancez pour ambassadeur. Mais Corancez était fort bien homme à se charger lui-même d’une mission conciliatrice. Il était allé chez Ely la veille au soir, lui servir toute chaude la même confidence, et lui demander le même service. Là, il avait naturellement parlé d’Hautefeuille, et flairé la brouille.