Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/435

Cette page n’a pas encore été corrigée

trop prolongé, qui révèle un désordre au cœur ; et cette sensation d’une souffrance physique, si près d’eux, achevait de les remuer, Olivier d’un remords, Pierre d’une pitié, qui diminuaient encore leur pouvoir de réagir.

Ainsi passaient les matins, ainsi les après-midi, ainsi les soirées, et l’un comme l’autre ils attendaient avec crainte et avec impatience à la fois le moment de se retirer : — avec impatience, car la solitude, c’était la liberté de s’abandonner tout entiers à leur sentiment, — avec crainte, car ils éprouvaient aussitôt que le serment échangé n’avait pas résolu le conflit de leur amour et de leur amitié, « Tu ne commettras pas l’adultère, » est-il écrit, et le livre ajoute : « Celui qui a regardé la femme d’un autre pour la désirer a déjà commis cet adultère… » Parole admirable de profondeur et qui définit d’un mot l’identité morale de la pensée et de l’acte, de la concupiscence et de la possession ! Les deux amis avaient la conscience trop délicate pour ne pas le constater avec honte : toute leur pensée, une fois seuls, n’était qu’une longue, une passionnée infidélité à leur serment ! … À peine Pierre l’avait-il quitté, Olivier commençait d’aller et venir de sa chambre à celle de sa femme, causant avec elle, essayant de lui dire des phrases affectueuses, luttant déjà contre la hantise dont il serait tout à l’heure la victime. Puis, rentré dans sa chambre, ce qu’il appelait lui-même « sa tentation » le saisissait, l’enlaçait, le dominait. Tous ses souvenirs Romains