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entendus se dire bonjour, Pierre demander des nouvelles de Berthe, Olivier en donner, puis tous les deux parler du journal qu’ils venaient de lire, du temps qu’il faisait, de l’emploi possible de leurs heures, ne se fût jamais douté que cette première rencontre leur était un saisissement. Pierre sentait que son ami l’étudiait, tandis que lui-même étudiait son ami. Chacun avait comme faim et comme soif de savoir si l’autre avait eu les mêmes pensées que lui-même, la même pensée plutôt, durant les heures de séparation. Cette pensée, ils la lisaient dans les yeux l’un de l’autre, aussi distinctement que si elle eût été écrite avec des mots sur du papier, comme l’affreuse phrase qui avait à jamais éclairé Pierre. L’invisible fantôme passait entre eux, et ils se taisaient… Cependant ils pouvaient voir par la fenêtre ouverte que le radieux printemps méridional continuait à remplir le ciel d’azur, les chemins de fleurs, l’air de parfums. L’un d’eux proposait une promenade à l’autre, dans la vaine espérance qu’un peu de la sérénité lumineuse de cette admirable nature passerait dans leur âme. Ils avaient tant aimé à marcher ensemble autrefois, pensant tout haut, mettant leurs esprits, comme leurs corps, au même pas ! Ils sortaient, et, après dix minutes, la conversation entre eux tombait. D’instinct, et sans s’être concertés, ils fuyaient les quartiers de Cannes où ils risquaient de rencontrer soit Ely, soit quelqu’un de sa société : la rue d’Antibes, la Croisette, le quai des Yachts. Ils évitaient de même le bois