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qu’Ely de Carlsberg. Malgré leur effort héroïque pour préserver cette amitié si chère, malgré l’estime, la tendresse, la pitié qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre, malgré tant de souvenirs sacrés, malgré l’honneur, la femme était entre eux, et, avec la femme, tout ce que sa fatale influence insinue si vite en nous : les instinctives jalousies, les susceptibilités frémissantes, les taciturnes malaises. Ils n’allaient pas tarder à le sentir tous les deux, et combien profondément le mortel poison était entré dans leur chair. Ils allaient constater aussi cette chose étrange, monstrueuse en apparence, en réalité si naturelle, que cet amour dont ils avaient juré la mort au nom de leur amitié, était maintenant lié à cette amitié du plus étroit lien. Ni l’un ni l’autre ne pouvait penser à son ami, le regarder, l’écouter, sans revoir aussitôt l’image d’Ely, de cette maîtresse qui leur avait appartenu à l’un et à l’autre. C’étaient eux qui lui appartenaient maintenant, et cette solidarité d’obsession fit de ces quelques jours de tête-à-tête une véritable crise de « folie à deux », d’autant plus torturante que, fidèles à leur promesse, ils évitaient également de prononcer ce nom de femme. Mais qu’avaient-ils besoin de s’en parler pour savoir qu’ils y pensaient ? Qu’elles furent pénibles, ces journées, et quoiqu’elles n’aient pas été nombreuses, comme elles leur semblèrent durer longtemps, durer toujours ! … Ils se retrouvaient, le matin, vers les dix heures, dans lé salon d’Olivier. Qui les eût