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La maîtresse abandonnée est là qui nous appelle, qui nous veut, qui va nous reprendre. Et si nous sommes dans la même ville qu’elle, si, pour la revoir, il nous suffit d’un quart d’heure de marche, qu’il faut de courage pour ne pas succomber ! … Ce départ sauveur, Pierre et Olivier en avaient bien senti là nécessité, ils en avaient pris la résolution. Puis un contre-temps imprévu les avait immobilisés dans cet hôtel. Comme le secrétaire l’avait dit à Louise Brion, Mme Du Prat était vraiment malade. Elle avait subi une commotion trop violente dont elle ne se remettait pas. Il lui en restait une nervosité du cœur telle qu’aussitôt sortie de son lit et debout, au moindre mouvement, des palpitations la reprenaient, à croire qu’elle allait mourir là, étouffée. Le médecin l’avait mise en observation, et il défendait qu’elle voyageât d’ici à quelques jours. Dans ces circonstances, la sagesse eût voulu que Pierre Hautefeuille, du moins, partît. Il ne l’avait point fait. Il lui avait été impossible de laisser Du Prat seul à Cannes. Il s’était donné comme prétexte le devoir de ne pas abandonner son ami dans un moment difficile. S’il fut descendu tout au fond dans sa conscience, jusqu’à cette place où se dissimulent les pensées dont nous avons honte, les calculs inavoués, les égoïsmes obscurs, il eût découvert d’autres motifs et moins nobles à cette prolongation de séjour. Bien qu’il eût dans la parole d’Olivier la confiance la plus entière, il détestait cette idée que son ami demeurât seul dans la même ville