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Je le reverrai. Tu m’aideras à le revoir… Tu me le promets… Ah ! il faut que je lui parle, une fois encore, une seule fois ! Je veux lui avoir dit la vérité, qu’il apprenne du moins que je l’ai aimé, sincèrement, passionnément, profondément aimé. C’est si dur de ne même pas savoir ce qu’il pense de moi ! »

Oui. Que pensait Pierre Hautefeuille de la maîtresse idolâtrée quelques jours auparavant, si haut placée dans son estime, et soudain flétrie à ses yeux d’une telle souillure ? … Hélas ! le malheureux le savait-il lui-même ? Etait-il capable de s’y reconnaître parmi tant d’idées et d’impressions contradictoires qui se pressaient, se heurtaient, se succédaient dans son âme ? Peut-être, s’il avait pu quitter Cannes aussitôt, ce tumulte intérieur aurait-il été moins fort. C’était le seul plan de conduite à suivre après le serment qu’Olivier et lui avaient échangé : s’en aller, mettre de l’espace, du temps, des événements entre eux et cette femme qu’ils aimaient tous les deux et qu’ils s’étaient juré d’immoler à leur amitié. La volonté a beau être forte : que peut-elle sur l’imagination, sur le cœur, sur l’abîme trouble des sens ? Nous ne sommes les maîtres que de nos actes. Nous ne le sommes pas de nos rêves, de nos regrets, de nos désirs. Ils s’éveillent, ils frémissent, ils grandissent en nous. Ils nous rendent présents, jusqu’à l’obsession, des regards, des sourires, un visage, l’éclat d’une épaule, le contour d’un sein, et voici que l’ancienne fièvre court dans nos veines.