Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/42

Cette page n’a pas encore été corrigée

de pensée, prêt à souffrir au contact de la vie. En l’éveillant de sa méditation, l’interrupteur lui causa un frisson de contrariété à peine dissimulée. Cette contrariété n’offensa point le rusé Méridional. Il savait trop bien quel nom il suffisait de prononcer pour la dissiper. Forçant son ami à se lever, il lui avait pris le bras et il commençait :

— « Es-tu assez sournois, tout de même, d’être venu ici sans m’avertir ? Sournois et maladroit ! Nous aurions dîné tout tranquillement. J’avais ce soir la plus jolie table de Monte-Carlo : Mme de Carlsberg, Mme de Chésy, Mlle Marsh, Mme Bonaccorsi. Tu ne te serais pas ennuyé… »

— « Je ne savais seulement pas à cinq heures que je prendrais le train à six, » dit Hautefeuille.

— « Je connais cela, » dit Corancez : « on est bien paisible dans sa chambre de Cannes ; on entend des voix, comme Jeanne d’Arc, pas les mêmes, celles-ci : « Rien ne va plus… Messieurs, faites vos jeux ; » et les billets de banque commencent à frétiller dans votre portefeuille, les louis à danser dans votre gousset, et on arrive au tapis vert sans même s’en être douté. As-tu gagné, au moins ? »

— « Je ne joue jamais, » répondit Pierre.

— « Il y a commencement à tout, » reprit l’autre. « Mais, dis-moi, es-tu venu ici souvent ? »

— « C’est la première fois. »

— « Et tu as passé tout l’hiver à Cannes ! J’entends encore Du Prat t’appeler mademoiselle