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plus ; cette joie virile, cette fière exaltation de la découverte, que nous avons goûtée à nous deux dans ce laboratoire, pleinement, longuement, royalement, tu en as assez ? Tu veux rentrer dans cette infâme société que je t’avais appris à juger pour ce qu’elle vaut, te marier, quitter cet asile, quitter la Science, quitter ton maître, ton ami ? … »

— « Mais, monseigneur, » interrompit Verdier, « ne puis-je pas être marié et continuer à travailler auprès de vous ? »

— « Avec cette femme-là ! … jamais, » répondit l’archiduc, sur un ton d’énergie passionnée ; et, la colère le gagnant : « Jamais ! … » insista-t-il, « Séparons-nous, puisqu’il le faut, mais sans hypocrisie, sans mensonges, d’une manière vraiment digne de ce que nous avons été l’un pour l’autre. Tu le sais bien, que la première condition à ton mariage avec cette fille, c’est que tu livres à son brigand d’oncle ce secret-ci, » et il frappa de la main un des accumulateurs rangés sur la table. « Ne me dis pas que tu refuseras, parce que l’invention est à nous deux : je t’en donne ma part, entends-tu, je te la donne. Tu arriverais à me trahir par faiblesse, par ce lâche amour que je te vois au cœur. Tu n’auras pas ce remords-là. Épouse cette femme. Vends notre invention à ce brasseur d’affaires. Vends-lui la Science. Je t’y autorise. Mais je ne te verrai plus. Car c’est cela que tu vas lui vendre, entends-tu : la Science ! Fais-le, mais sache que tu le fais, et sache aussi qu’en le faisant tu participes à toute l’ignominie de l’époque, à