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la pauvre Ely n’avait pas été la désabusée qui croyait, comme elle l’avait dit énergiquement, « qu’il n’y a que ce monde », les obscures fatalités qui l’accablaient se fussent éclairées d’une lumière. Elle eût reconnu une mystérieuse justice, plus forte que nos intentions, plus infaillible que nos calculs, dans la rencontre qui voulait que son double adultère fut puni par cette amitié de ceux qui en avaient été les complices, et ces complices eux-mêmes l’un par l’autre. Elle ne voyait dans le coup qui la frappait que la basse vengeance d’un ancien amant, et une telle souffrance ne pouvait que la dégrader. Toutes les vertus de généreuse indulgence, de bonté attendrie, de scrupule sentimental que son amour, magnifique de spontanéité enthousiaste, avait éveillées dans son cœur, elle les sentait s’en aller ; et les hideurs de ses pires instincts les remplaçaient, avec l’idée que ces deux hommes, à qui elle avait appartenu, et dont elle aimait l’un à la folie, la méprisaient ensemble. Et elle revoyait en pensée le Pierre qu’elle avait là, auprès d’elle, vingt-quatre heures auparavant, si dévoué, si exalté, si heureux ! … Et cette âcreté se fondait en des crises de larmes où elle criait ce nom idolâtré. À quoi bon ? Celui à qui elle adressait tant de passionnés soupirs n’aurait même pas voulu les écouter !

Quelle soirée et quelle nuit l’infortunée passa de la sorte, enfermée seule dans sa chambre ! Et qu’il lui fallut de courage pour ne pas demeurer