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avec la stupeur que lui causait toujours, à elle l’Anglo-Saxonne dressée à toutes les indépendances, le magnétisme de crainte dont Navagero enveloppait sa sœur. Celle-ci était en pensée bien loin de la salle de jeu et de sa confidente. Elle revoyait la petite chapelle de Notre-Dame-des-Pins, à Cannes, où, chaque jour, depuis des mois, il se disait une messe pour que ses mensonges à son frère lui fussent pardonnés, et l’autel où elle avait forcé Corancez de s’agenouiller, pour faire le vœu d’aller ensemble à Lorette, aussitôt leur mariage déclaré ! Le Provençal croyait à la Madone à peu près comme il croyait aux lignes de la main, avec ce demi-scepticisme et cette demi-foi d’une nature du Midi, enfantine et retorse, très compliquée malgré des instincts très simples, sincère dans ses hâbleries et un peu superstitieuse dans ses calculs les plus précis. Il avait vu dans les scrupules de MmeBonaccorsi la plus sûre garantie de son succès : une fois éprise, une femme qui unissait une pareille ardeur de piété à cette fougue de passion en arriverait nécessairement au mariage ; et, d’autre part, il n’était pas si loin de croire lui-même que les cierges allumés dans la petite église de Cannes l’assuraient contre les vengeances du redoutable frère, parfaitement capable de tout pour empêcher que la sœur ne portât sa fortune ailleurs. Il avait trop étudié le terrible caractère du Vénitien pour s’étonner, comme miss Marsh, devant les paniques de sa fiancée. Mais que pourraient toutes les fureurs