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où tu appellerais traître et Judas celui aux côtés de qui tu voulais mourir, avec quelle confiance nous aurions répondu : « C’est impossible ! … » Et cette nuit dans la neige au bois de Chagey, à la fin, quand nous avons appris que tout était perdu, que l’armée passait en Suisse, et que le lendemain il nous faudrait rendre nos armes, te la rappelles-tu ? Et notre serment sacré, s’il fallait jamais se battre encore, d’être là de nouveau, coude à coude, cœur à cœur, dans le même rang ? … Si elle vient jamais, cette heure du nouveau départ, que feras-tu sans moi ? … Ah ! tu me regardes, tu me comprends, tu me reviens… Embrassons-nous, mon Pierre, comme alors… Il y a plus de dix ans, et c’était hier… Tout peut nous manquer dans la vie, mais pas cela, crois-moi, pas cette amitié… Le reste, c’est de la passion, des sens, du délire… Cela, vois-tu, c’est notre cœur ! … »

Tandis qu’Olivier parlait, l’attitude de Pierre avait en effet commencé de changer. Ses sanglots s’étaient arrêtés ; et dans ses yeux, encore trempés de larmes, une lueur s’allumait. La voix de son ami exprimait une si poignante supplication, les images évoquées par cette parole fraternelle rappelaient au malheureux tant de hautes émotions, une communauté de sentiments si délicate à certaines heures, si courageuse, si héroïque à d’autres ! Il se faisait en lui, après cette secousse d’effroyable douleur, un réveil de son énergie d’homme à cet appel de son ancien compagnon