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m’étouffe. Tu es misérable. Je suis misérable aussi. Nous le serons moins si nous le sommes ensemble, en nous appuyant l’un sur l’autre… Je te dois une explication. Je suis venu te la donner. Tu peux m’écouter et me répondre, Entre nous il n’y a plus de secret. Mme de Carlsberg m’a tout dit… »

Hautefeuille avait paru ne pas entendre les premiers mots de son ami. Au nom de sa maîtresse, il leva brusquement la tête. Ses traits, horriblement contractés, révélaient cette âcre sécheresse du chagrin qui n’a pas pu pleurer. Il répondit d’une voix brève où frémissait toute sa révolte intérieure :

— « Une explication entre nous ? Laquelle ? Pour t’apprendre quoi ? Pour m’apprendre quoi ? Que tu as été l’amant de cette femme l’année dernière, que je le suis cette année-ci ? … » Puis, comme s’exaspérant à la brutalité de ses propres paroles : « Si c’est pour me redire d’elle ce que tu m’en as dit quand je ne savais pas de qui tu me parlais, c’est inutile : je n’en ai rien oublié, ni l’histoire du premier amant, ni celle de l’autre, de celui à cause de qui tu l’as quittée… C’est un monstre de libertinage et d’hypocrisie. Je le sais. Tu me l’as démontré. Ne recommence pas. Cela me ferait trop mal, et c’est inutile. Elle est morte pour moi d’aujourd’hui. Je ne la connais plus… »

— « Tu es bien dur pour elle, » reprit Olivier ; « et toi, tu n’en as pas le droit. » Le cynisme des insultes lancées par Pierre contre Ely lui était intolérable. Elles trahissaient, chez l’amant qui