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me reprendre et à guérir son cœur, c’est la séparation à brève échéance, et pour moi, de nouveau, la vie déracinée… Guérir son cœur, quand le mien est si malade ! Pauvre enfant ! Où l’ai-je menée ? … » À travers toutes les complications de sa sensibilité, il avait gardé une conscience d’honnête homme, trop lucide pour que la réponse à cette question ne lui donnât pas un frisson de remords. Mais — qui ne le sait par expérience ? — ni le remords, ni la pitié, ces hautes vertus de l’âme humaine, n’ont jamais prévalu, dans un être qui aime, contre la frénésie dominatrice de la passion : les pensées d’Olivier eurent vite quitté là pauvre Berthe pour s’en aller toutes d’un autre côté. La fièvre des baisers qu’il avait donnés à Ely, à ce pâle visage frémissant et convulsé, lui brûla de nouveau les veines. En même temps, l’image de son ami, de l’amant à qui cette femme appartenait maintenant, ressuscita devant son esprit, et ses deux blessures intérieures se mirent à saigner d’un flot si violent qu’il oublia tout ce qui n’était pas Pierre ou Ely, Ely ou Pierre. Et voici qu’une souffrance plus aiguë que toutes celles qu’il avait éprouvées jusqu’à cette heure s’empara de lui. Que faisait, que pensait l’ami, le frère auquel il avait donné une part si vivante de son être ? Que restait-il de leur amitié en ce moment ? Qu’en resterait-il demain ? Devant la perpective d’une rupture avec Hautefeuille, Olivier sentit que c’était là pour lui l’extrémité du malheur, le coup suprême qu’il n’était pas capable d’accepter.