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pour Du Prat au seuil de la chambre de Berthe. Un fade arôme d’éther le saisit dès l’entrée. Il vit, détaché en pâleur sur l’oreiller et le regardant d’un regard ou roulaient de grosses larmes, le visage épuisé de cette entant qui avait eu foi en lui, qui lui avait donné sa vie, la fleur de sa jeunesse, toutes ses espérances. Fallait-il qu’il eût été dur envers la pauvre et gauche créature, pour que, l’aimant ainsi, elle n’eût jamais rien osé lui en montrer ! Là non plus, il ne trouva pas de parole à dire. Il vint s’asseoir près du lit, et il resta longtemps accoudé à contempler la malade. La sensation de la misère où ils gisaient tous les quatre, Berthe, Pierre, Ely et lui-même, lui fendait le cœur. Berthe l’aimait et elle savait qu’il ne l’aimait pas. Pierre aimait Ely et en était aimé, mais cet amour venait d’être à jamais empoisonné par la plus horrible des révélations. Quant à lui, il se retrouvait épris passionnément d’une ancienne maîtresse, soupçonnée, outragée, abandonnée, et qui était maintenant tout entière à son meilleur, à son plus intime ami. Comme un homme tombé d’un paquebot en pleine mer, et qui nage au milieu de la grande houle, voit s’enfler les lames démesurées qui vont l’engloutir, il sentait monter et grandir de toutes parts, en lui, autour de lui, cette force irrésistible de l’amour qu’il avait tant souhaité connaître et qui l’emportait, le roulait, l’épouvantait maintenant. Il eut là, auprès de ce lit, et tandis qu’il écoutait la respiration saccadée de la jeune femme, quelques instants de ce