voiture roulait sur ce chemin, suivi si souvent, qu’il subit son premier accès de vrai désespoir. La nouvelle qu’il venait d’apprendre était si stupéfiante d’inattendu, si déconcertante à la fois et si affreuse, qu’il éprouvait la sensation de traverser un mauvais rêve… Il allait échapper à ce cauchemar, se retrouver ce qu’il était ce matin encore… Mais non. Les mots qu’avait prononcés Berthe lui revenaient subitement. La réalité s’imposait à lui, indiscutable et totale. Il revoyait ce début de lettre, écrit de cette écriture qu’il connaissait depuis vingt ans : « Il y a des vengeances infâmes, ma chère Ely, et celle que vous avez imaginée… » À la clarté de cette terrible phrase, l’attitude étrange d’Olivier depuis son arrivée à Cannes s’expliquait avec une évidence affreuse. Pêle-mêle, des signes auxquels Pierre n’avait pas prêté d’attention, des regards et des silences de son ami, des demi-confidences et des allusions, ressuscitaient dans son souvenir, et il se faisait en lui comme une invasion de certitude. C’était la montée à son cerveau d’une vapeur de chagrin, si forte, si intense, qu’elle l’enivrait d’une ivresse mortelle, comme un alcool empoisonné. À un moment, et tandis que le cheval de son fiacre gravissait au pas la côte d’Urie, il avait rencontré Yvonne de Chésy ; il ne l’avait pas reconnue, et elle l’avait interpellé sans qu’il l’entendît. Elle avait fait signe au cocher qu’il arrêtât, et, toujours rieuse, même dans son désastre, elle dit au malheureux :
— « Je voulais vous demander si vous n’aviez pas