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l’aimez. » Il répéta : « Vous l’aimez… J’avais cru que nous nous étions fait l’un à l’autre tout le mal que deux êtres humains peuvent se faire et que je ne souffrirais jamais par vous plus que je n’avais souffert là-bas, plus que je n’ai souffert ces jours-ci encore, quand j’ai deviné que vous étiez sa maîtresse… Ce n’était rien à côté de ceci. Vous l’aimez ! … Mais comment ne l’aimeriez-vous pas ? Comment n’ai-je pas compris tout de suite que sa grâce, sa délicatesse, sa jeunesse, tout ce qui fait qu’il est lui, avait dû vous toucher, vous pénétrer, vous changer le cœur ? … Je viens de vous voir telle que j’ai tant souhaité, tant désespéré de vous voir autrefois, et c’est par lui, c’est pour lui… » Il s’arrêta. Ses lèvres tremblèrent, comme si des phrases de douleur et de colère se pressaient en lui qu’il ne voulait pas proférer. Puis, incapable de se dominer plus longtemps, il jeta un cri de bête blessée en répétant : « Non ! je ne peux pas supporter cela ! J’ai trop mal, trop mal, trop mal ! … » Et cruellement, sauvagement : « Puisque vous m’avez détesté assez pour rêver cette atroce vengeance, de me voir jaloux de lui à cause de vous, savourez-la, cette vengeance, vous l’avez, repaissez-vous-en ! … Jouissez-en ! … Je n’ai jamais, jamais tant souffert ! … »

— « Je vous en conjure, ne me parlez pas ainsi, » répondit Ely. Cette soudaine et violente explosion de sentiments si étranges venait de la secouer, même dans son trouble, d’un frisson inattendu. Elle entrevoyait, avec un mélange