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pouvez pas savoir… Vous voyez : tout à l’heure, je n’ai pas essayé de discuter avec vous, de vous tenir tête. Je n’ai pas été l’orgueilleuse contre qui vous avez tant lutté autrefois… L’orgueil, je n’en ai plus. Où en prendrais-je, quand je retrouve, en vous écoutant, la preuve de ce que j’ai été, de ce que je serais encore si je n’avais pas rencontré Pierre, et sans l’amour qui est entré en moi comme un hôte sacré ? … Quand je vous ai dit que j’avais pensé à me faire aimer de lui pour me venger de vous, je vous ai dit la vérité ; vous devez me croire si je vous dis que maintenant cette idée me fait autant d’horreur qu’à vous-même. Quand je l’ai connu, quand j’ai senti la beauté, la noblesse, la pureté de cette nature, toutes ces vertus dont vous venez de parler, j’ai compris aussitôt quelle infamie je me préparais à commettre. Vous avez raison : j’aurais été un monstre si j’avais pu jouer avec un cœur si jeune, si droit, si vrai, si adorable. Mais non. Je n’ai pas été ce monstre. Je n’avais pas causé avec Pierre deux fois que j’avais renoncé à cette affreuse vengeance, et que déjà il m’avait prise tout entière. Je l’aimais ! … Je l’aimais ! Tout ce que vous venez de me dire, croyez-vous que je ne me le sois pas dit, que je ne me le dise pas chaque jour, chaque heure, à moi-même, depuis que j’ai vu clair dans mes sentiments ? Je l’aimais ! Et c’était votre ami, votre frère, et j’avais été votre maîtresse, et une minute viendrait où il vous reverrait ; où il vous parlerait de moi, une minute où peut-être il saurait