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Ely s’était levée pendant que cet homme ulcéré lui jetait ces paroles d’outrage, et son front s’était redressé. Maintenant ses yeux soutenaient ceux d’Olivier avec un regard où l’affront ne faisait passer aucun éclair de colère ou de révolte. Ils exprimaient, ces yeux, presque une sérénité à force d’être sincères. Elle fit quelques pas vers le jeune homme ; sur ce bras qui la menaçait, elle mit sa main, d’un geste si doux et si ferme à la fois qu’Olivier s’arrêta de parler. Et elle commença de lui répondre avec une voix qu’il ne lui connaissait pas. L’accent en était si simple, — si humain, justement ! — qu’il était impossible de douter des mots prononcés avec cette voix. C’était réellement un cœur mis à nu, et dont la plainte remuait celui qui l’écoutait à une extrême profondeur. Il avait aimé cette femme bien plus qu’il ne le savait lui-même et, dans cette femme dont il idolâtrait la beauté, il avait cherché sans pouvoir l’animer, le créer, précisément l’être qui se montrait à lui. Cette âme qu’annonçaient ces yeux tendres et tristes, cette âme farouche, passionnée, capable du plus grand, du plus complet amour, il l’avait devinée, pressentie, poursuivie, sans jamais l’atteindre ni l’étreindre, à travers toutes les caresses, toutes les violences, toutes les brutalités de sa jalousie, et elle était là, éveillée par un autre, et quel autre ! … Et il écoutait Ely parler :

— « Vous êtes injuste, Olivier, » disait-elle, « bien, bien injuste. Mais vous ne savez pas, vous ne