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— « Puisque vous avez si bonne mémoire, » reprit Olivier, « vous vous souvenez que ces coquetteries allèrent loin, très loin, et que ce jeune homme devint votre amant… » Ah ! comme les paupières d’Ely battirent douloureusement tandis qu’il insistait sur cette phrase avec cette dureté voulue qu’elle l’avait supplié de lui épargner, et il continuait : « Vous vous souvenez aussi que cet amour fut bien malheureux. Cet homme était susceptible, défiant, inquiet. Il avait beaucoup souffert de jalousie. Une femme qui l’eût aimé vraiment n’aurait eu qu’un souci : ne pas réveiller en lui cette horrible maladie du soupçon. Vous avez fait tout le contraire… Fermez les yeux, et revoyez un peu en pensée un certain bal chez la comtesse Steno et cet homme dans un coin du salon, et vous dansant, et avec qui ? »

Cette allusion à un épisode oublié de leur plus triste époque fit venir un flot de sang aux joues d’Ely. Elle se revit, comme l’y invitait son implacable interlocuteur, se laissant faire la cour par un des princes Pietrapertosa, celui de ses rivaux imaginaires qu’Olivier avait le plus détesté. Elle répondit :

— « Cela est encore vrai. J’ai mal agi. »

— « Vous en convenez, » reprit Du Prat, « et vous en conviendrez aussi : le jeune homme que vous jouiez de la sorte avait le droit de vous juger comme il vous a jugée, et de vous fuir comme il vous a fuie, parce qu’auprès de vous il sentait se lever en lui les pires instincts de son être, parce que vous