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il n’acceptait rien. La tempête des volontés frénétiques était maintenant déchaînée en lui. Parvenu à ce point d’exaspération et de lucidité, qu’allait-il faire ? … Il chercherait à la revoir, d’abord. De cela elle était aussi absolument certaine que s’il eût été là debout, et riant du rire cruel qui avait percé le tendre Hautefeuille. Dans quelques jours, dans quelques heures peut-être, elle serait en présence de cet ennemi mortel, non pas seulement de sa personne, mais de son amour. Il serait là, elle le verrait, elle l’entendrait bouger, respirer, vivre. À cette idée, un frisson d’horreur lui courait sur toute la chair. Elle éprouvait, à penser que cet homme l’avait possédée, une souffrance aiguë qui lui arrêtait le cœur. Le souvenir des caresses données et reçues la soulevait d’une nausée et l’écrasait d’une détresse. Jamais autant qu’à cette minute elle n’avait senti combien son sincère, son profond amour avait réellement fait d’elle une autre femme, une créature rajeunie, renouvelée, pardonnée… Mais soit ! Cette odieuse présence de l’ancien amant, elle l’accepterait, elle la supporterait. Ce serait le châtiment de n’avoir pas attendu ce grand amour d’aujourd’hui dans une pureté entière, de n’avoir pas prévu qu’elle rencontrerait un jour un Hautefeuille, de ne s’être pas gardée digne de lui. Elle, la raisonneuse, la désabusée, elle en arrivait à cette religion, à ce mysticisme de son propre bonheur, si naturel à la femme vraiment amoureuse, et qui lui montre un blasphème, un sacrilège,