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de la chambre : — « Je crois qu’Olivier devient fou, » lui dit-il. « Ces jours derniers il avait été plus étrange encore… Ce soir, il me regardait d’un regard si particulier, si insistant, si entrant, que j’en étais presque gêné. Je ne lui ai pourtant fait aucune confidence, et j’avais l’impression qu’il lisait en moi, — pas ton nom… ah ! heureusement pas cela, pas cela ! … mais — comment te dire ? — mon impatience, mon désir, ma passion, mon bonheur, tous mes sentiments, et que ces sentiments lui faisaient horreur ! … Pourquoi ? Est-ce assez injuste ? Lui ai-je pris quoi que ce soit de notre amitié pour te le donner ? Enfin j’étais mal à l’aise. À dix heures, je prends congé de sa femme et de lui… Un quart d’heure après, on frappait à la porte de ma chambre. C’était Olivier. Il me demande : « Veux-tu que nous allions nous promener ? Je sens que je dormirai mal, si je n’ai pas marché. » Je lui réponds : « Je ne peux pas, j’ai des lettres à écrire. » Il me fallait bien trouver une excuse. Il me regarda de nouveau avec ce même regard qu’il avait eu pendant le dîner… Et, tout d’un coup, il se mit à rire. Je ne peux pas te rendre ce rire. C’était quelque chose de cruel, d’affreux, d’insultant, d’impossible à supporter. Il ne m’avait pas dit un mot et je savais que c’était de mon amour qu’il riait ainsi. Je l’arrêtai, je sentais une espèce de fureur me gagner moi-même. Je lui demandai : « De quoi ris-tu ? … » Il me répondit : « D’un souvenir… » Son visage devint tout pâle. Il cessa de rire aussi