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la société d’ici, de l’inquiétude que je lui donnais par mes changements de goûts et d’idées… Cannes serait habité par des escrocs, et qui voudraient m’affilier à leur bande, il ne m’aurait pas gourmandé autrement. C’est inexplicable, mais c’est ainsi : de me voir heureux ici le peine, le froisse, le blesse… Comprenez-vous cette folie ? Un ami que j’aime tant et qui m’aime tant ! … »

— « C’est pour cela qu’il ne faut pas lui en vouloir, » répondit Ely. « Quand on souffre, on devient injuste, et il souffre de son mariage. C’est si dur d’avoir manqué ce bonheur-là ! … » Elle avait parlé de la sorte par une naturelle générosité. Cette âme effrénée, violente, mais fière et noble, eût jugé indigne de pratiquer ce travail secret d’empoisonnement que les épouses et les maîtresses exercent avec une si criminelle, une si sûre science, contre les amitiés d’un mari ou d’un amant, lorsque ces amitiés leur déplaisent. Mais en elle-même elle s’était dit : — « Olivier a deviné que Pierre aime quelqu’un. Soupçonne-t-il que c’est moi ? … » .

La réponse à cette question n’était pas douteuse. Ely avait trop souvent constaté, à Rome, la presque infaillible perspicacité d’Olivier à découvrir les dessous cachés des intrigues d’amour nouées autour d’eux. Bien qu’elle continuât malgré tout, à espérer dans son honneur de galant homme, elle appréhendait, avec une angoisse chaque jour plus douloureuse, l’instant où elle