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plus n’était pas l’amant de cette autre fois, ravi d’une joie parfaite, extatique, sans arrière-pensée. Il semblait qu’une ombre flottait sur ses yeux et sur son esprit. Ce n’était pas qu’il eût un grief contre elle. Non : il était aussi tendre, aussi confiant. L’autre n’avait rien révélé du redoutable secret. Pourtant, si Pierre était troublé, c’était bien à cause d’Olivier. Il l’avoua aussitôt, et sans même qu’Ely l’interrogeât. Il disait :

— « Je ne sais pas ce qu’il peut y avoir entre nous. Mais j’ai l’impression bien étrange que certaines choses de moi l’irritent, l’énervent, lui déplaisent… Il m’en veut pour des riens auxquels il n’aurait même pas pris garde auparavant : ma camaraderie avec Corancez, par exemple. Croiriez-vbus qu’il m’a reproché, comme une mauvaise action, de m’être prêté à la cérémonie de Gênes ? … Et tout cela, pour avoir, hier, rencontré de nouveau dans le train ce brave Marius et sa femme à la station du Golfe-Jouan ! « Nous avons notre nid par là, » m’a dit Corancez, et il m’a aussi dit — c’est son mot — que « la bombe allait éclater » . C’est notre amie Andriana qui veut parler à son frère, maintenant… Je raconte cette histoire à Olivier, pour l’amuser, et le voilà qui s’indigne, qui s’emporte jusqu’à prononcer le mot de chantage, — un chantage contre Navagero, contre cet exploiteur abominable ! … Je lui réponds. Il me répond… Vous ne vous imaginez pas de quel ton et en quels termes il m’a parlé de moi-même, du danger que je courais en fréquentant