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femme d’un poids si lourd, à cette minute et dans cette fête, c’était cette idée : « Olivier est mal marié. Il n’est pas heureux. Cette douceur de cœur que lui eût donné l’amour, s’il avait aimé sa femme, il ne l’a pas acquise… Il est resté le même. Alors, il me hait toujours… Il lui a suffi d’apprendre que Pierre passait la soirée ici, et déjà il a voulu l’empêcher de venir. Il ne sait rien cependant… Ah ! quand il saura ! … » Et, s’obstinant à l’espérance, elle se contraignait à se dire, à se répéter : « Eh bien ! quand il saura, il comprendra que je suis sincère, et que je n’ai jamais fait, que je ne ferai jamais souffrir son ami… »

Cette seconde illusion, qu’Olivier serait touché par la vérité, par la noblesse de son amour, Pierre lui-même allait de nouveau l’en réveiller. Trois jours avaient passé depuis la soirée, durant lesquels le jeune homme n’avait pas revu sa maîtresse. Si cruelles que leur fussent les séparations, Ely avait jugé plus sage de les prolonger pendant le séjour des Du Prat. Elle se rattraperait plus tard, comptant passer à Cannes avec Hautefeuille les longues semaines des mois d’avril et de mai, si doux, si fleuris, si solitaires sur cette côte, parmi les jardins abandonnés. Le projet d’un voyage en Italie, où ils se retrouveraient, comme à Gênes, dans un décor de beauté, la hantait aussi, et la perspective de cette félicité certaine si elle échappait au danger actuel lui donnait la force de supporter l’insupportable : cette absence avec toutes