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cette grande soirée chez elle dont il avait été parlé dans le train. Il arriva tard et lorsque les salons étaient déjà remplis de monde, vers les onze heures :

— « C’est mon ami Olivier qui a insisté pour me retenir, » dit-il en s’excusant auprès de Mme de Carlsberg ; « j’ai cru qu’il ne me laisserait jamais m’en aller. »

— « Il aurait voulu vous garder pour lui seul, » répondit-elle ; « il y a si longtemps qu’il ne vous a vu ! … » Puis, le cœur battant, car elle allait savoir peut-être après cette phrase si Du Prat, voyant Hautefeuille venir chez elle, avait manifesté quelque répugnance : « Il faut ménager sa susceptibilité de vieil ami. »

— « Il n’est pas susceptible, » répondit Pierre : « il sait trop combien je lui suis attaché… Il s’attardait à me parler de lui et de son ménage… » Et, tristement… « Il est si malheureux ! Sa femme est si peu faite pour être sa femme. Elle le comprend si mal ! Il ne l’aime guère et elle ne l’aime guère ! … Ah ! c’est affreux ! … »

Ainsi le rajeunissement du cœur d’Olivier par un jeune amour, ce renouveau sentimental sur lequel l’ancienne maîtresse avait tant compté, n’était qu’une de ses illusions à elle. Cet homme était malheureux par ce mariage même où elle avait voulu voir un gage assuré d’oubli, un effacement de leur commun passé. Cette révélation lui parut si grave pour l’avenir de son propre bonheur qu’elle voulut en savoir davantage, et elle s’oublia