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cet homme qu’elle avait connu si malade de sensualité haineuse apprendrait la vérité, ce serait en lui un réveil de ses plus basses, de ses plus féroces jalousies. N’avait-elle pas compté elle-même sur cette jalousie, au début, quand elle nourrissait des projets de vengeance dont aujourd’hui elle avait honte ? Toutes ces idées s’étaient représentées devant sa raison, presque aussitôt après le départ d’Hautefeuille. Elle l’avait, comme déjà la première fois, accompagné jusqu’au seuil de la serre, le tenant par la main et le conduisant à travers les meubles du salon dans l’obscurité, tout émue et si fière de ne pas sentir trembler cette main du jeune homme, indifférent au danger. Au contact de l’air froid de la nuit, elle avait frissonné… Une dernière étreinte, leurs bouches unies dans un avide et dernier baiser, ce baiser de tous les adieux, — toujours déchirant quand on aime : le sort est si traître et le malheur va si vite ! — quelques minutes d’attente à écouter son pas dans l’allée déserte du jardin, — et elle était rentrée pour retrouver dans son lit solitaire la place, froide maintenant, où avait reposé son aimé… Là, dans cette mélancolie soudaine de la séparation, son intelligence s’était réveillée du songe d’oubli et de volupté prolongé durant ces dernières heures, le sens de la réalité lui était revenu, et elle avait eu peur… Cette peur avait été très vive, mais courte. Ely était d’une lignée de gens ayant fait la guerre. Elle était capable, en action, de vigoureux parti pris ; et, en pensée,