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distinctement, tel qu’il avait été prononcé devant lui par une inoubliable voix. Il se revit dans une allée de la villa Cœlimontana, parlant à Ely de son amitié pour Pierre et engageant avec elle une discussion comme il en avait eu bien souvent. Il soutenait, lui, que l’amitié, ce sentiment si pur, si fier, ce mélange d’estime et de tendresse, d’absolue confiance et de sympathie lucide, ne peut exister que d’un homme à un homme. Elle prétendait, elle, avoir une amie dont elle était aussi sûre qu’il pouvait l’être, lui, de Pierre Hautefèuille, et elle avait nommé Louise Brion. C’était donc cette amie d’Ely qui dînait maintenant à quelques pas de leur table ; et si cette femme le regardait, lui, avec cette insistance singulière, c’est qu’elle savait… Que savait-elle ? … Qu’il avait été l’amant de Mme de Carlsberg ? … Sans aucun doute. Que Pierre l’était aujourd’hui ? … Cette fois, l’obsession de cette idée devint si violente, si impérieuse, qu’Olivier comprit qu’il ne pouvait plus la supporter. Mais n’avait-il pas à sa portée, et tout de suite, un moyen d’apprendre la vérité ? Corancez n’avait-il pas annoncé qu’il finirait la soirée à la maison de jeu ? Et lui qui avait passé l’hiver avec Hautefeuille et Mme de Carlsberg, il savait certainement à quoi s’en tenir. Olivier se dit : « Je l’interrogerai, carrément, nettement. Qu’il parle ou non, je lirai sa pensée dans ses yeux… Il est si étourdi ! … » Puis il eut honte d’un pareil procédé comme d’une affreuse indélicatesse vis-à-vis de son ami. « Voilà