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sur le sentier où a passé un fugitif. L’observateur constatait ainsi la diminution chez Pierre de ce caractère exclusivement, étroitement Français, qu’il lui avait connu jadis. Le jeune homme n’aimait pas Ely depuis plus de trois mois, il n’y avait pas plus de trois semaines qu’il s’en savait aimé ; mais à force de penser à elle, toutes ses associations d’idées et ses références s’étaient modifiées d’une manière aussi profonde qu’insensible. Sa causerie s’était comme teintée d’exotisme. Les allusions aux choses d’Italie et d’Autriche y passaient naturellement. Lui qui jadis étonnait Olivier par son absolue incuriosité, il paraissait prendre un plaisir de nouvel initié aux anecdotes de ce monde cosmopolite où de secrètes et vivantes racines le tenaient attaché. Il avait là des intérêts, des habitudes, des sympathies, des sentiments ; et rien dans ses lettres n’avait fait deviner cette métamorphose à son ami. Celui-ci continuait de chercher la femme à travers cette conversation, sur la physionomie de Pierre, et par-dessous les moindres phrases qu’échangeaient les trois causeurs. Berthe, après avoir à peine répondu aux familiarités de Corancez, paraissait maintenant absorbée par l’admirable paysage de mer. C’était la fin de l’après-midi : les nappes d’eau bleue et violette dormaient dans le découpage des criques, l’écume moutonnait autour des grands caps boisés, et, là-bas, de l’autre côté, pour clore l’horizon, par delà les montagnes de roches, se profilait sur un ciel rose la dentelure blanche des Alpes