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les trains à côté d’un jeune ménage ! … Comme il a changé ! … » On le voit, avec tout son scepticisme, Olivier Du Prat n’échappait guère aux préjugés et à l’illogisme courants. Il avait trouvé tout naturel, sa jeunesse durant, d’abriter ses intrigues sous la protection d’honnêtes femmes, amies ou parentes de ses maîtresses. Il trouvait aujourd’hui très étrange que Pierre ne se scandalisât point de voir Mrme Bonaccorsi et Corancez s’installer dans le même compartiment que M. et Mme Du Prat ! Mais surtout il recommençait de se livrer au douloureux travail d’induction interrompu quelques heures, et il pensait : « Non, cette grosse Italienne et ce pitre du Midi ne peuvent pas lui plaire… S’il les supporte, s’il les aime, c’est qu’ils lui représentent une commodité, une complicité, ou simplement des gens qui connaissent sa maîtresse… Car il a une maîtresse ! Quand je ne saurais pas qu’il a découché, quand je ne l’aurais pas vu dans son lit, ce matin, avec ses yeux creusés, son teint épuisé, quand je n’aurais pas eu entre les mains cette bague avec sa devise, je n’aurais qu’à le regarder maintenant. C’est un autre homme… »

Tout en monologuant de la sorte, en lui-même, Olivier étudiait de nouveau son ami avec cette avidité passionnée qui déchiffre les moindres gestes, les mouvements de paupières, la respiration d’un autre être, comme un sauvage saisit, analyse, traduit le pli des herbes, une empreinte à terre, le bris d’une branche, le froissement d’une feuille,