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gestes, dans son attitude, cette indéfinissable mais évidente nuance d’une personnalité plus virile, plus affirmée. La timidité farouche d’autrefois avait cédé la place à la réserve fière que la certitude d’être aimés donne aux jeunes gens délicats et romanesques… — C’était ensuite ce grand, cet infaillible signe d’un secret bonheur : comme une extase tendre dans le fond des yeux et, sans cesse, l’absence du regard. Jamais, quand Olivier causait avec son ami jadis, il ne l’avait vu distrait de la sorte, en allé, étranger. Les amoureux sont tous ainsi. Ils vous parlent. Vous leur parlez. Ils ne s’écoutent ni ne vous écoutent. Leur esprit voyage ailleurs. Celui de Pierre était sur un pont de bateau éclairé par la lune, sur l’escalier d’un vieux palais Italien, dans le patio de la villa Helmholtz, bien loin de la petite table de cette salle à manger d’hôtel, de Mme Du Prat à laquelle il oubliait de servir à boire, d’Olivier qu’il ne voyait même plus… — Et puis, c’étaient d’infimes détails de parure masculine, de ces riens où se reconnaît la tendre gâterie d’une maîtresse qui veut que son amant ne puisse faire un geste sans retrouver la caresse de son souvenir. Pierre portait au petit doigt une bague que son ami ne lui avait jamais vue, deux serpents d’or enlacés, avec une émeraude pour tête. À sa montre était attachée une médaille de Saint-Georges qu’il n’avait pas autrefois. En prenant son mouchoir, il secouait un parfum dont il ne se servait pas auparavant. Olivier avait été lui-même engagé dans trop d’aventures