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et il était revenu seul, le long des routes désertes, sous les étoiles, avec des rêves de fuite à deux, très au loin, pour vivre auprès d’elle comme un mari vit avec sa femme. Ce droit de passer sur ce cœur adoré les nuits, toutes les nuits, qu’il lui semblait un droit précieux, le plus précieux de tous, — les nuits, toutes les nuits, la moitié de l’année à la fin de l’année, la moitié de la vie à la fin de la vie, toutes les nuits, quand, avec sa toilette du jour, la femme a dépouillé l’être social pour redevenir la créature simple et vraie, parée de sa seule jeunesse, de son seul amour, la confiante, la tendre abandonnée que personne d’autre ne voit ainsi ! … Olivier n’éprouvait donc pas ces sentiments pour sa jeune femme ? Mais s’il l’aimait si peu, après ces quelques mois de mariage, l’avait-il jamais aimée ? Et s’il ne l’avait pas aimée, pourquoi l’avait-il épousée ? … Pierre en était là de ses pensées, quand une main appuyée sur son épaule le réveilla brusquement. Olivier était de nouveau devant lui, mais seul :

— « Eh bien ! j’ai trouvé, » dit-il ; « c’est un peu haut, mais la vue n’en est que plus belle. Tu n’as rien à faire en ce moment ? Si nous allions nous promener ? … »

— « Et Mme Du Prat ? » demanda Hautefeuille.

— « Il faut lui laisser le temps de s’installer, » répondit Olivier, « Je t’avouerai d’ailleurs que je ne suis pas fâché d’être un peu seul avec toi. On ne cause bien qu’à deux. On… Je veux dire : nous…