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un peu trop haut, attendait avec une parfaite impassibilité que l’un des deux jeunes gens voulût bien songer à elle. Mme Olivier Du Prat était une enfant de vingt ans, très jolie, très fine, avec quelque chose dans sa beauté de délicat jusqu’à en être menu, presque aigu, des cheveux couleur d’or, d’un ton froid à force d’être clair, et des prunelles bleues, où flottait, en ce moment, cet on ne sait quoi d’impénétrable et d’illisible dont beaucoup de nouvelles mariées sont coutumières devant les compagnons de jeunesse de leur mari. Celle-ci éprouvait-elle pour l’ami préféré, qui avait été le témoin d’Olivier lors de son mariage, une sympathie ou une antipathie, une confiance ou une défiance ? Elle n’en laissa rien deviner quand le jeune homme vint s’excuser de ne pas l’avoir saluée plus tôt et l’aider à descendre. À peine appuya-t-elle la pointe de ses doigts sur la main que lui tendait Pierre. Mais ce pouvait être une réserve trop naturelle, — comme aussi la phrase qu’elle lui répondit, quand il la questionna sur son voyage, pouvait exprimer un trop naturel désir de repos :

— « Nous avons fait un beau voyage, mais après une si longue absence, on aurait bien envie d’être enfin chez soi… »

Oui, cette petite phrase était très naturelle. Mais elle signifiait aussi, prononcée par cette bouche de fine et froide petite femme : « Mon mari a voulu venir vous voir ; je n’ai pas pu l’empêcher. Ne vous y trompez pas : j’en suis fort