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— « Je ne vais pas à Monte-Carlo, » dit-il ; « je suis venu ici attendre un de mes amis que vous connaissez : Olivier Du Prat. »

— « Mon amoureux de chez votre sœur ? … Mais oui, j’en ai été toquée au moins quinze jours… Eh bien ! invitez-le à dîner avec nous ce soir. Vous prendrez le train de cinq heures. »

— « Mais il est marié. »

— « Invitez sa femme par-dessus le marché, » dit gaiement l’étourdie. « Voyons, Andriana, décidez-le, vous avez plus de pouvoir que moi… » Et, continuant son rôle d’enfant gâtée, elle prît le bras de Navagero. Rien ne l’amusait comme les mines de l’Italien quand il savait sa sœur en tête-à-tête avec quelqu’un dont il était jaloux. Elle ignorait le service qu’elle rendait à son amie. Celle-ci profita de ces quelques instants pour dire à Pierre :

— « Lui aussi, il arrive par ce train. Je ne suis venue que pour le voir. Voulez-vous lui dire quej’ai rendez-vous avec Florence d emain matin sur la Jenny, à onze heures ? Et puis, je vous en prie, ne soyez pas froissé si Alvise n’est pas très aimable : il s’est mis en tête que vous me faites la cour…Mais voici le rapide… »

La locomotive débouchait de la haute tranchée où court la voie pour entrer dans Cannes, et presque aussitôt Pierre vit apparaître à une portière le profil joyeux du sire de Corancez. Il fut à terre avant l’arrêt des roues, et, embrassant Hautefeuille, il dit très haut, de manière à être entendu de sa femme :