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je vais le prier de monter dans notre compartiment d’abord, et l’inviter à dîner avec nous à Monte-Carlo ensuite, et je le chargerai de surveiller Gontran. Il en a besoin… Dites donc, Pierre, » continua-t-elle en s’adressant au jeune homme qui maintenant était devant elle, « vous êtes de service auprès de moi toute l’après-midi et toute la soirée. Il s’agit de me faire un rapport, au cas où mon seigneur et maître perdrait plus de cent louis. Il en a perdu mille avant-hier au trente-et-quarante. Deux parties comme cela par semaine, c’est un gentil budget d’hiver. Il faudra bientôt que je songe à gagner l’argent du ménage… »

Chésy ne répondit rien. Il continua de tirailler sa moustache, nerveusement, en haussant les épaules. Mais son visage se crispa dans un sourire forcé, bien différent de celui avec lequel il accueillait d’ordinaire les plaisanteries volontiers risquées de sa femme. La catastrophe prédite par Dickie Marsh était imminente ; et le malheureux gentilhomme était assez enfant pour essayer de réparer ce désastre en risquant le peu qui lui restait sur le tapis vert de Monte-Carlo, tandis que sa femme ignorait la vérité. Aussi la phrase d’Yvonne devenait singulièrement cruelle pour lui et pour elle-même, prononcée sous le regard de Brion, le banquier des femmes du monde tom bées dans le besoin. Hautefeuille, éclairé par ses conversations avec Corancez et avec Mme de Carlsberg, sentit vivement l’ironie d’un tel discours dans une telle situation :