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capables de beaux mouvements. I moti divini, disait Leonardo. Mettez cette énergie au service de la cité, et cette cité elle-même, représentez-la par des dieux, par ses dieux : vous avez la Grèce… »

— « Et vous avez Venise, vous avez Florence, vous avez Sienne, vous avez Gênes, toute l’Italie ! » interrompit dom Fortunato… — « L’Italie est l’humble élève de la Grèce, » dit solennellement Fregoso : « elle a quelques touches de la grande Beauté, mais elle n’est pas la grande Beauté… » Puis, mystérieusement : « Ah ! cette fois, il faut fermer les volets et abaisser les rideaux. Dom Fortunato, voulez-vous m’aider ? … »

Quand la nuit fut ainsi produite, le vieillard mit aux mains de l’abbé la bougie allumée, il lui fit signe de le suivre, et, s’avançant vers une tête de marbre, posée sur un piédouche, il dit d’une voix troublée par l’émotion :

— « La Niobé de Phidias ! … »

Les trois femmes et les deux jeunes gens aperçurent alors, à la lueur de la petite flamme, un morceau de marbre réellement informe. Le nez avait été brisé, écrasé. La place des yeux était à peine reconnaissable. Toute une partie de la chevelure manquait. Le hasard de cette épouvantable destruction avait pourtant épargné la lèvre inférieure et le menton. C’est sur cette bouche mutilée et sur ce menton que dom Fortunato, habitué à l’enfantine mise en scène de l’archéologue, fit tomber la lumière :

— « Est-elle admirable de vie et de douleur,