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puissante, une bouche et un menton volontaires. Elle portait sur ses épais cheveux châtains un chapeau rond, en velours noir, avec des bords trop larges sous de trop hautes plumes, et que relevait par derrière un cache-peigne en orchidées artificielles. C’était un chapeau de jeune fille et un chapeau d’après-midi, mais qui tenait du costume par son outrance, comme la robe de drap gris velouté et comme le corsage, une cuirasse presque, en passementerie d’argent, qu’avait imaginé pour elle le plus grand couturier de Paris. Ainsi parée, et avec la surcharge de bijoux qui accompagnait cette toilette, miss Florence Marsh — c’était son nom — aurait pu passer pour tout au monde, excepté pour ce qu’elle était vraiment : la plus droite, la plus honnête des jeunes filles en train de veiller sur le futur bonheur conjugal d’une femme tout aussi honnête qu’elle et tout aussi irréprochable. Cette dernière s’appelait la marquise Andriana Bonaccorsi ; elle était de Venise, et par sa naissance appartenait à l’illustre et vieille famille dogale des Navagero. Sur sa toilette qui venait de Paris, elle aussi, éclatait ce goût du colifichet particulier aux élégances d’Italie et qui leur donne cet air « fufu », pour employer le terme sans équivalent par lequel la bourgeoisie provinciale de chez nous flétrit un certain à-peu-près de mise féminine, brillant, séduisant, mais sans solidité. Sur sa robe de satin noir courait un essaim de papillons en jais noir. Ces mêmes papillons voletaient sur le satin de ses petits souliers