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On travaille dix heures de suite sans fatigue, après s’être mis de cet oxygène dans les poumons… Je suis un peu inquiet de ce ciel, » ajouta-t-il. « Nous sommes allés trop loin. Nous ne pourrons arriver à Gênes qu’à huit heures, et la Jenny a le temps de danser d’ici là… Je n’ai jamais compris les yachtmen qui invitent des amis à ces fêtes de la cuvette et du canapé… Nous aurions pu aller de Cannes à Gênes en quatre heures ; mais j’ai pensé qu’il valait mieux vous faire dormir loin des fracas du port. Le baromètre était très haut. Je l’ai rarement vu descendre aussi vite… »

Le dôme du ciel, en effet, si pur toute la journée et toute la nuit précédentes, s’était peu à peu comme bosselé de gros nuages gris en forme de rochers. D’autres nuages s’allongeaient à l’horizon, pareils à des lignes mobiles qui se fuyaient les unes les autres. Ce rideau de vapeurs grises laissait transparaître un soleil pâle. La mer s’étalait toujours, mais moins immobile et moins lisse. L’eau était de la couleur du plomb, opaque, lourde, menaçante. La brise fraîchissait, et bientôt un large souffle de vent courut sur cette nappe morte de l’eau. Il y éveilla un immense frissonnement d’abord, puis des milliers de rides de plus en plus creusées, enfin d’innombrables petites vagues, droites et courtes, écroulées en flocons blancs :

— « Êtes-vous bon marin ? » demanda Marsh à Hautefeuille. « D’ailleurs, je me trompais tout à l’heure : la Jenny ne roulera pas plus de quarante à