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mots : « Je t’aime ! Oh ! comme je t’aime ? … » Ils n’avaient pas échangé de promesses. Il ne lui avait pas demandé d’être à lui tout entière, et pourtant, aussi vrai qu’il n’y avait plus autour d’eux que cette nuit, ce ciel et cette mer, il le savait, l’heure était venue. Cette mer pâmée sous la lune, ce ciel incendié de constellations, cette nuit traversée de brises défaillantes étaient les mystiques, les solennels témoins de leurs secrètes fiançailles… Et plus tard encore, quand tout fut endormi sur le bateau et qu’il se fut glissé dans la chambre d’Ely, quel instant à s’en souvenir jusqu’à la mort que celui où elle le prit entre ses bras et sur son cœur pour l’y tenir serré jusqu’au matin ! La lueur atténuée d’une lampe voilée d’une dentelle souple éclairait à peine le coin où ils reposaient l’un près de l’autre, juste assez pour que l’amant enivré pût voir auprès de sa tête, sur le même oreiller, la tête de sa maîtresse, et ses yeux, ses chers yeux illuminés de volupté reconnaissante parmi les anneaux de ses cheveux défaits… Tous deux se taisaient, comme brisés sous le poids d’émotions trop fortes. Ils n’entendaient dans le silence de la nuit que leurs soupirs d’amour mêlés à la paisible, à la monotone respiration du bateau en marche, et le clapotement rythmé de la mer contre la paroi du bord s’y joignait par instants, de cette mer indulgente, de cette mer, leur complice, qui enchantait, qui berçait leur premier bonheur, de sa lame si calme sous un ciel si pur, — en attendant la tempête.