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un tel besoin de lui donner une caresse, qu’instinctivement, inconsciemment, son pied à elle se dégagea de son petit soulier et vint toucher, presser le pied du jeune homme. Ils se regardèrent de nouveau. Il avait pâli à ce contact si intime, si vivant, si voluptueux. Qu’il devait souvent la revoir ainsi dans son souvenir, et tout lui pardonner des affreuses souffrances qu’il subit à cause d’elle, pour la beauté qu’elle avait à cette seconde ! Ah ! la divine Beauté ! … Une langueur noyait ses yeux. Ses lèvres ouvertes aspiraient l’air comme si elle allait mourir. L’admirable rondeur de son cou se dessinait nue et sans collier. L’attache en apparaissait, gracieuse et puissante, hors de l’échancrure d’une robe noire, d’un noir absorbant qui donnait un éclat plus mat à la blancheur de son teint. Sa chair, dans cette gaine de soie sombre, avait la délicatesse d’une chair de fleur, et, dans ses cheveux bruns qui coiffaient simplement sa tête fière et en marquaient la noble forme un peu longue, un seul bijou brillait : un rubis, rouge et chaud, comme une goutte de sang !

Oui, qu’il devait souvent la revoir ainsi, et plus tard, sur le pont, dans la solitude de cette nuit d’étoiles, rêveuse, accoudée sur le bastingage, — regardant la mer où les profondes nappes d’eau s’écroulaient, palpitaient, soupiraient dans les ténèbres, — regardant le ciel ou étincelait le taciturne fourmillement des astres, — le regardant ensuite et lui disant ces seuls