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pour moi depuis que vous avez daigné me découvrir… Vous y avez mis le temps, sans reproche… »

— « Que voulez-vous dire ? » demanda la baronne.

— « Mais… que vous ne vous doutiez guère, autrefois, qu’il se cache un brave petit brin d’honnête homme dans cette toquée d’Yvonne… La sœur de Pierre le sait bien, elle, et depuis toujours… »

La jolie étourdie avait eu, pour faire cette profession de foi, des yeux si clairs, où transparaissait une conscience si droite, où se devinait une telle propreté morale, malgré ses très mauvaises façons, qu’Elly en eut le cœur plus serré encore. La nuit était venue, et la cloche avait sonné le premier coup du dîner. Maintenant les trois feux, le blanc, le rouge et le vert, jetaient leur éclat de pierres précieuses, à bâbord, à tribord et à misaine. Ely sentit un bras glisser sous son bras, celui d’Andriana Bonaccorsi qui lui disait :

— « Il faut descendre s’habiller, et c’est bien dommage… On passerait la nuit ici à rêver… »

— « N’est-ce pas ? » répondit la baronne, qui songea : « Celle-ci, du moins, est vraiment heureuse ; » et tout haut : « C’est votre dîner d’adieu à la vie de veuve, il faut vous faire belle… Mais comme vous semblez émue ! … »

— « Je pense à mon frère, » dit l’Italienne, « et cette idée me pèse comme un remords. Et puis, je pense à Corancez : il est plus jeune que