Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/193

Cette page n’a pas encore été corrigée

sans forme, sans contour, vierges et nues comme aux premiers jours du monde, où la lumière déployait, prodiguait ses resplendissantes féeries, — toute la lumière, ici projetée en des nappes d’un rose tendre, délicat, transparent, comme le rose des pétales sur un buisson d’églantiers, — là répandue en des flots de pourpre, de la couleur d’un sang généreux, — ailleurs étalée comme en des grèves d’un vert d’émeraude et d’un violet d’améthyste, — plus loin solidifiée en de colossaux porches d’or ! Et cette lumière s’approfondissait avec le ciel, elle palpitait avec la mer, elle se dilatait dans l’espace infini, jusqu’à ce que, le globe ayant plongé sous les lames, cette gloire s’évanouît comme elle avait surgi, laissant de nouveau la mer toute bleue, presque noire, et le dôme du ciel presque noir aussi cette fois, avec une suprême frange à son bord, de l’orangé le plus intense. Cette large bande éclatante s’amincit, s’atténua, s’effaça elle-même. Les premières étoiles commencèrent de poindre et les lumières du yacht de s’allumer, éclairant sa masse de plus en plus sombre qui allait, emportant à travers la nuit grandissante un cœur de femme où s’était reflétée tout le jour la divine sérénité des heures claires, puis la splendeur de la minute fulgurante, où se reflétait maintenant toute la mélancolie de ce fugitif et décoloré crépuscule.

Bien qu’elle ne fût guère superstitieuse, Ely n’avait pas pu ne pas le sentir, avec un frémissement