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devant le regard intérieur d’Ely. Où qu’ils fussent, dans le silencieux patio semé de feuilles de camélias, sous les pins sonores de la villa Ellen-Rock, à la Napoule sur la prairie où les joueurs de golf vont et viennent dans le plus frais des paysages, cette merveilleuse nature du Midi s’évanouissait, disparaissait : et les palmiers et les rosiers et les orangers et le ciel bleu et la mer lumineuse, et celui qu’elle aimait. Les yeux cruels et le mauvais sourire de son ancien amant s’évoquaient dans l’éclair d’une demi-hallucination torturante. Elle l’entendait parlant à Pierre. C’était alors un arrêt en elle de toutes les puissances heureuses. Ses paupières battaient, sa bouche s’ouvrait pour aspirer l’air, une pointe aiguë lui déchirait, lui fouillait le sein, ses traits s’altéraient, et, comme à présent, son inconscient, son tendre bourreau lui demandait : « Qu’avez-vous ? … » avec une sollicitude émue qui la désespérait et la consolait à la fois. Et elle répondait, comme à présent, par un de ces petits mensonges que l’amour vrai ne se pardonne pas. La sincérité complète, totale, est, pour le cœur, lorsqu’il sent à une certaine profondeur, un besoin presque physique, comme la faim et la soif. Que cette tromperie était inoffensive ! Et pourtant, Ely eut de nouveau une impression de remords à expliquer son soudain malaise comme elle fit :

— « Un frisson de froid m’a saisie… Le soir arrive si vite… C’est un si brusque sursaut de température… » Puis, tandis que le jeune homme l’aidait à