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permettre, de ne pas nous permettre de tomber dans l’horrible tristesse. » Elle souligna ces deux mots, tendre rappel d’une phrase prononcée plusieurs fois entre eux au moment de se quitter, et qui avait déjà sa place dans leur dialecte sentimental. Et, hochant la tête, elle se tourna vers la table et commença de préparer deux tasses, en ajoutant : « Prenons plutôt notre thé sagement, et soyons aussi gemüthlich que de bons bourgeois de mon pays… »

Elle tendait une des tasses à Hautefeuille en parlant ainsi. Le jeune homme la prit en s’attardant à frôler de ses doigts la fine et souple main qui le servait avec ce délice des humbles gâteries, si cher aux femmes vraiment amoureuses. Cette simple caresse leur fit échanger un de ces regards où deux âmes se touchent, se fondent, s’absorbent par le magnétisme du désir. Ils se turent de nouveau, prolongeant, approfondissant par ce silence l’impression de leur commune fièvre, si enivrante à partager dans cette atmosphère mélangée de senteurs marines et d’arômes de rose, avec l’immense palpitation de l’eau vivante et sommeillante qui les enveloppait de sa rumeur alanguie. Pour comprendre quelle intensité de vibration cette simple caresse éveillait dans le jeune homme et dans la jeune femme, il faut ajouter qu’ils n’étaient pas encore amant et maîtresse, au sens réel de ces mots. Si la naïve Louise Brion, qui s’était en allée de Cannes aussitôt, afin de ne pas assister à la chute, pour elle certaine, de sa trop