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inconnue, cette bouche fine et qui tremblait encore des paroles prononcées tout à l’heure. La pensée qu’elle serait privée de cette présence, à jamais, se réalisa pour elle avec une précision physiquement intolérable, en même temps que l’évidence du bonheur, s’ils s’abandonnaient tous deux au profond instinct qui les portait l’un vers l’autre. Sa volonté plia — comme une digue soudain rompue — sous le désir qui s’empara d’elle avec une force irrésistible, et, sentant tout haut à cette minute, elle reprit : « Non, vous ne partirez pas, vous ne pouvez pas partir. Je suis trop seule, trop abandonnée, trop misérable ! … Je n’ai rien de vrai autour de moi, rien, rien, rien… Et je vous perdrais ! … »

Elle se leva d’un mouvement passionné qui fit se lever aussi Hautefeuille, et, s’approchant de lui, les yeux dans ses yeux, belle d’une beauté d’apparition, son admirable visage éclairé, transfiguré par cet afflux total de son âme dans ses prunelles et sur ses lèvres, elle lui prit les mains entre ses mains, et elle lui dit, comme si elle eût voulu par cette pression et par ces mots lier, mêler, fondre l’un dans l’autre le plus intime de leurs deux êtres :

— « Non, vous ne me quitterez pas. Nous ne nous quitterons pas… Cela n’est pas possible, puisque vous m’aimez et que je vous aime… »