Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/152

Cette page n’a pas encore été corrigée

présence qu’il marchait irrésistiblement, — seul besoin qui finisse toujours par tout abolir dans un cœur qui aime, depuis les plus justes rancunes jusqu’aux plus folles timidités.

Quand le jeune homme entra dans le salon de la villa Helmholtz, l’excès de ses émotions l’avait mis dans cet état de somnambulisme éveillé où l’âme et le corps obéissent à une impulsion dont ils ont à peine la conscience. Cet état ressemble beaucoup à celui d’un homme résolu qui traverse un très grand péril. Les deux instincts fondamentaux de notre nature, celui de la conservation et celui de l’amour, agissent de même en toute occurrence importante. C’est une preuve de plus qu’ils sont l’œuvre en nous de forces impersonnelles, extérieures et supérieures à l’étroit domaine de notre volonté réfléchie. Dans des instants pareils, nos sens sont à la fois suraiguisés et paralysés, —suraiguisés pour les moindres détails qui correspondent à notre élan intérieur, paralysés pour tout le reste. — Quand Hautefeuille pense aujourd’hui à ces minutes si décisives de sa vie, il ne peut se rappeler par quel chemin il est allé de l’hôtel à la villa, quelles personnes de sa connaissance il a rencontrées. Il ne fut réveillé de ce songe lucide qu’au moment où il se trouva dans le premier des deux salons, le plus grand, vide à cette minute. Une senteur y flottait, mêlée à l’arome des plantes qui garnissaient les vases : celle du parfum préféré par Mme de Carlsberg, une composition légère d’ambre, de chypre et d’eau de Cologne russe. À