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vivre d’après la logique absolue de ses passions. Elie deviendrait la maîtresse de Pierre. Quoique l’entretien de la veille eût imposé à Louise l’évidence des fautes déjà commises par son ancienne compagne de couvent, ni sa pensée ni son cœur ne s’étaient habitués à la réalité de ces fautes. La seule idée de cette liaison la secouait d’un sursaut d’effroi, presque d’horreur. Toute la nuit elle avait songé au moyen de provoquer le seul événement où elle aperçût pour Ely un salut assuré : — le départ volontaire d’Hautefeuille. Sa première pensée fut d’en appeler à la délicatesse du jeune homme. Le portrait moral que lui en avait tracé Mme de Carlsberg, sa physionomie si intéressante, son regard loyal, sa naïve action d’amoureux, quand il avait acheté l’étui d’or, — tout révélait en lui une exquise finesse de nature. Si elle lui écrivait, bravement, simplement, une lettre non signée, où elle lui parlerait de cette action même, de cet achat qui aurait pu être vu, qui sans doute avait été vu par d’autres que par elle ? Si, à ce propos, elle le suppliait de s’éloigner afin de ménager le repos de Mme de Carlsberg ? … Cette lettre, elle en avait essayé plusieurs brouillons, au cours d’une longue et fiévreuse insomnie, sans arriver à une expression qui la contentât. Il était bien difficile de rédiger cet appel, et qu’il ne signifiât point : « Allez-vous-en, parce qu’elle vous aime ! … » Puis, au matin, et comme elle s’éveillait du tardif sommeil qui avait terminé cette nuit d’angoisse, un hasard très vulgaire, où