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bottes en caoutchouc. Des entrepôts de denrées, des bureaux de compagnies maritimes s’y trouvaient aussi. La vie du besoin, totalement abolie, croirait-on, dans cette cité de loisir, semblait s’être concentrée tout entière sur cette marge étroite pour lui donner un pittoresque grouillant, savoureux, populaire, bien différent de cette uniformité banale que l’abus du luxe étalé imprime au Midi oisif et cosmopolite. Sans doute, ce contraste inconsciemment senti attachait le plébéien Marsh à ce coin de port. Ce fils de ses œuvres, et qui avait, lui aussi, travaillé de ses mains sur le quai de Cleveland, au bord du lac Érié, plus mouvant que la Méditerranée, méprisait, au fond, cette société vide et vaine où il vivait, Il y vivait pourtant, parce que ce monde de la haute aristocratie cosmopolite, c’était encore une conquête à faire. Quand il recevait un grand-duc ou un prince régnant à bord de son yacht, comment n’eût-il pas éprouvé une volupté d’orgueil d’une acuité particulière à regarder ces pêcheurs du même âge que lui, et à se dire, tout en fumant son cigare avec l’Altesse Impériale ou Royale : « Voici trente ans, ces pêcheurs et moi, nous étions égaux. Je faisais le métier qu’ils font. Et aujourd’hui ! … » En ce moment, comme Hautefeuille et Corancez ne figuraient sur aucune page du Gotha, le maître du yacht n’avait pas jugé à propos d’attendre ses visiteurs sur le pont. Quand les deux jeunes gens mirent le pied sur la dernière marche de l’escalier du bord, ils n’aperçurent que