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— « Hé !il n’en sait rien, » répliqua Corancez. « Voici justement où apparaît dans le conte bleu la fée bienfaisante, sous la forme de cette charmante baronne Ely. Sans elle, Andriana — tu me permets d’appeler ainsi ma fiancée — ne se serait jamais décidée à prononcer le « oui » . Elle m’aimait, et elle avait peur. Ne la juge pas mal. Ces femmes trop tendres, trop sensibles, ont de ces timidités folles qu’il faut comprendre… Elle avait peur, mais pour moi surtout. Elle imaginait une dispute entre son frère et moi, des mots trop vifs, un duel. Navagero tire l’épée comme Machault et le pistolet comme Casal. Ecco… Alors je lui ai proposé et fait accepter le plus romanesque, le plus invraisemblable des dénouements, un mariage secret ! … Le 14 du mois qui vient, si Dieu me prête vie, un prêtre de Venise, dont elle est sûre, nous mariera dans la chapelle d’un palais de Gênes. Moi, d’ici là, je disparais. Je suis à Barbentane, dans mes vignes ; et le 13, tandis que Navagero fera l’Anglais à bord du bateau de lord Herbert Bohun, avec le prince de Galles et quelques moindres Altesses, le bateau de Marsh, à bord duquel tu vas être invité, emportera, entre autres passagers, la femme que j’aime le plus au monde, à qui je vais donner ma vie, et l’ami que j’estime le plus, — si toutefois cet ami ne dit pas non à ma demande… Que répond-il ? … »

— « Il répond, » fit Hautefeuille, « que s’il a jamais été étonné de sa vie, c’est aujourd’hui.