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Herbert que c’en était invraisemblable. Il y eut pourtant entre eux cette différence : en croisant Corancez et Hautefeuille, les deux sosies jetèrent un « bonjour » dont l’un était dépourvu d’accent, celui de Bohun, tandis que le Vénitien détacha ces deux syllabes avec un timbre absolument britannique.

— « Tu as bien regardé cet homme, » reprit Corancez, quand les deux amis furent à une distance convenable, « et tu l’as pris pour un anglomane de l’espèce la plus falote ? … Mais quand on gratte l’Anglais, chez lui, sais-tu ce que l’on trouve par-dessous ? Un Italien du temps de Machiavel, sans plus de scrupules que s’il vivait à la cour des Borgia. Il nous empoisonnerait tous, toi, moi, le premier venu, s’il nous trouvait sur sa route d’une certaine façon… Je lui ai lu dans la main : il a le signe… Mais tranquillise-toi, il n’a pas encore pratiqué : il n’en est qu’à torturer depuis six ans une pauvre femme sans défense, cette adorable marquise Bonaccorsi, sa sœur. Je ne me charge pas de t’expliquer cela, ni par quels procédés il l’a terrorisée… Mais depuis ces six ans cette femme n’a pas fait une démarche qu’il n’ait sue, pas eu un valet de pied qu’il n’ait choisi, pas reçu une lettre qu’il ne lui en ait demandé compte. Enfin, c’est une affreuse tragédie de famille, un de ces despotismes, de ces accaparements comme on ne les croit pas possibles, avant d’en avoir lu le récit dans la Gazette des Tribunaux, ou d’y avoir assisté comme j’ai fait. Il ne veut absolument