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nom du mystérieux donateur, celui dont Ely avait dit la veille à Mme Brion : « C’est quelqu’un qui n’est plus de ce monde. » En réalité cette boîte suspecte ne rappelait rien de très coupable, et la baronne l’avait reçue d’un jeune Russe, un des comtes Werekiew. Elle avait eu avec lui une première coquetterie, poussée assez loin, — l’inscription en témoignait, — mais interrompue, avant la faute, par le départ du jeune homme pour la guerre de Turquie. Il avait été tué sous Plewna… Oui ! Comme Hautefeuille eût été misérable s’il avait soupçonné les paroles qui s’étaient prononcées autour de ce bijou, paroles de tendresse romanesque dites par Nicolas Werekiew, paroles du plus outrageant soupçon dites par son plus cher ami, par cet Olivier dont il avait le portrait (quelle ironie ! ) sur la table où il s’accoudait à cette minute, entre les photographies de son père, de sa mère, de sa sœur et de sa maison d’Auvergne, — tout ce qu’il avait aimé avant de rencontrer la baronne Ely. — Ah ! cœur trop jeune, cœur resté trop intact, trop pur, trop confiant, comme il devait saigner un jour de ce qu’il ne soupçonnait pas durant cette matinée où toute sa délicatesse lui servait seulement à s’accuser lui-même, — jusqu’à la seconde où un coup frappé à sa porte le fit sursauter. Dans son absorption, il avait oublié, et l’heure, et son rendez-vous, et le camarade qu’il attendait. Il cacha le porte-cigarettes dans le tiroir de la table avec une palpitation de criminel surpris en flagrant délit. Sa voix trembla pour